Né en 1988 à Paris, il a grandi en banlieue parisienne, où il réside toujours, Simon Laveuve a évolué dans l’ombre des architectures brutalistes issues de l’après-guerre, celles de Renée Gailhoustet et Jean Renaudie, qui ont profondément marqué son imaginaire. Entouré de tours, de cités-dortoirs et de zones industrielles, il a très tôt intégré dans sa mémoire visuelle l’idée d’un urbanisme contraint, fonctionnel, mais aussi porteur de visions utopiques. Ce cadre originel nourrit aujourd’hui son univers artistique et a forgé un rapport intime à la ville, où l’habitat, la survie et la mémoire des lieux sont ces thèmes centraux.

En 2008 il débute son parcours dans la photographie : dès l’âge de vingt ans, il exerce comme photographe-auteur, spécialisé dans le portrait et la nature morte. Il travail pour des éditeurs, des marques de vêtements et essentiellement dans le domaine de la musique ou il réalise portraits de musiciens, pochettes d’albums et met en images des univers sonores avec également la réalisation de clips vidéos. Cette expérience, où il développe une attention particulière au détail, à la lumière et à la narration constitue le socle de sa pratique plastique. La relation intime entre l’humain et son environnement était déjà très presente.

En 2016, il transpose cette exigence dans un travail sculptural et autodidacte, assemblant des maquettes miniatures qui sont autant d’architectures chimériques, entre refuges précaires et abris imaginaires.

La miniature chez Simon Laveuve n’est pas seulement affaire de réduction d’échelle : elle dialogue aussi avec l’art du trompe-l’œil. Ses dioramas invitent à douter de ce que l’on voit, oscillant entre illusion réaliste et fiction poétique. Dans ce jeu de perception, la frontière entre décor et sculpture s’efface, et l’œuvre devient à la fois espace à habiter et mirage visuel.

Son esthétique se déploie dans un univers de chaos poétique, où l’humour et la désolation s’entrelacent. Ses compositions oscillent entre ruines et renaissances, entre violence contenue et délicatesse minutieuse du détail, à l’échelle du 1/35e ou proche, qu’il documente ensuite par l’image. Chaque œuvre prend la forme d’un diorama : habitats suspendus, phares délabrés, cabanes de guingois, guérites couvertes de graffitis ou tourelles envahies de végétation… Chacune porte en elle une tension féconde, où la fragilité des structures se mêle à la persistance obstinée de la vie et de la mémoire. Ces micro-architectures sont autant d’abris improbables, souvent inaccessibles, à la fois refuges et ruines, promesses de protection mais aussi signes d’abandon. Leur fonction reste volontairement incertaine : lieux de survivance post-apocalyptique, terrains de jeux poétiques, architectures de résistance face à l’effondrement. Laveuve aime travailler sur la hauteur, l’inaccessible et la fragilité, comme si ses constructions tenaient à la fois de l’illusion et du témoignage.

Ses matériaux sont volontairement modestes : éléments de récupération, objets détournés, rebuts industriels et domestiques. À travers le recyclage et la « seconde vie » des matières, il oppose à la logique consumériste une esthétique du bricolage, du geste artisanal et de l’autodidaxie. Ses maquettes foisonnent de détails : graffitis, échelles de corde, meubles miniatures, balançoires, portes griffonnées, objets utilitaires. Ce mélange d’hyperréalisme et de fantaisie produit un univers à la fois familier et déconcertant, où résonnent l’art modeste, les architectures singulières ou encore les décors cinématographiques ou théatrale.

Parmi ces matériaux, un objet revient comme un leitmotiv : la boîte de conserve. De simple contenant alimentaire, elle devient sous ses mains phare, bouée ou refuge. Ce détournement condense sa démarche : donner une seconde vie à des rebuts ordinaires, transformer la fonction initiale en architecture imaginaire, et révéler dans l’objet banal une puissance symbolique insoupçonnée.

À rebours de la sidération imposée par les installations monumentales, Laveuve invite à un regard rapproché, patient, intime, où chaque détail devient un monde. Suivant l’intuition de Bachelard, il fait du minuscule une porte vers l’infini, un foyer de grandeur.

Dans cet univers, la mémoire urbaine affleure sans cesse. Héritier des grandes utopies modernistes autant que témoin des désertifications industrielles, il interroge le devenir des « non-lieux » et des marges de nos villes. Ses « anarchitectures » évoquent des territoires en ruine, ponctués d’abris improbables, comme autant de traces d’une humanité en sursis.

En 2018, il initie la sĂ©rie IDF 2068, qui imagine une ĂŽle-de-France dĂ©vastĂ©e dans un futur proche. Ces sculptures, Ă  l’esthĂ©tique de friche et de rouille, projettent la rĂ©gion dans une temporalitĂ© post-industrielle et interrogent la viabilitĂ© de nos environnements urbains. Elles constituent un manifeste miniature, entre archĂ©ologie du prĂ©sent et anticipation dystopique.

Laveuve peuple aussi ses refuges d’éléments évoquant l’autonomie : panneaux solaires, éoliennes, jerricans, réservoirs d’eau de pluie, arbres fruitiers ou outils agricoles. Ces détails introduisent la question d’un monde viable, où la survie se fonde sur la récupération et la gestion des ressources. L’imaginaire de ses œuvres n’est donc pas seulement celui de la ruine, mais aussi celui d’une reconstruction possible.

Certaines formes reviennent comme des signatures — chaises en plastique, pneus, mobilier abandonné — qui ancrent ses œuvres dans une culture urbaine reconnaissable. Pourtant, malgré ces récurrences, il refuse d’imposer une narration unique. Chaque spectateur est invité à projeter sa propre lecture dans ces refuges miniatures, y voyant tantôt un futur menaçant, tantôt une utopie fragile.

En filigrane, son travail garde toujours une lueur d’optimisme. Si ses mondes semblent hantés par le spectre de l’effondrement, ils s’ouvrent aussi sur la poésie des formes, sur l’inventivité et la possibilité d’habiter autrement. Entre dystopie et utopie, son art choisit la voie de l’espérance discrète, celle d’une survie poétique dans un monde en mutation.

Aujourd’hui, Simon Laveuve occupe une place singulière dans la scène contemporaine. Son travail, encore relativement confidentiel auprès du grand public, circule pourtant dans des réseaux critiques et artistiques sensibles à l’art singulier, au recyclage, aux esthétiques post-industrielles et aux préoccupations écologiques. Ces oeuvres sont collectionées à travers le monde : France, Etat-Unis, Luxembourg, Canada, Allemagne, Vietnam… On le rapproche de figures comme Richard Greaves ou du Palais du Facteur Cheval, mais aussi de démarches contemporaines qui revisitent la question de l’habitat et de la mémoire des lieux. Son univers trouve un écho dans la conscience écologique actuelle et dans les interrogations sur la viabilité de nos modes de vie.

Ni dystopique ni triomphaliste, son œuvre se situe dans une tension féconde entre désolation et merveilleux, brutalité et tendresse, bricolage et élégance. Elle constitue un manifeste miniature : un art de la résistance poétique qui nous rappelle que, même au cœur des ruines, l’imaginaire reste un abri.